L’ICE, la police de l’immigration américaine, recrute 10 000 “agents de déportation”
Grâce aux milliards débloqués par Trump, la police de l’immigration et des douanes américaine (ICE) vient de lancer une vaste campagne de recrutement. Sa première foire à l’emploi s’est tenue, fin août, au Texas et les postulants, venus des quatre coins du pays, étaient aussi divers que variés, souligne ce reportage du “Los Angeles Times”.
De Arlington, Texas – Ils sont venus de toute l’Amérique dans l’espoir d’intégrer la machine à expulser du président Trump. Un agent de la police aux frontières, sa femme pompière et leur fille de 3 ans ont roulé pendant près de huit heures pour tenter de décrocher des postes qui leur permettraient de se rapprocher de chez eux. Un homme originaire du Tennessee a postulé en raison de “la manière dont les choses ont tourné avec l’immigration illégale et la pression sur notre économie”.
Était aussi présent un jeune latino-américain qui s’est vu reprocher de vouloir postuler à l’Immigration and Customs Enforcement [ICE, la police de l’immigration et des douanes]. Un ami lui a écrit : “Oh non, merde, Ricardo, je pensais que tu plaisantais. Je te parlerai plus jamais si tu deviens un agent de l’ICE… Ton propre père a été déporté, mec.”
Ils ont débarqué à Arlington, au Texas, attirés par une campagne du ministère de la Sécurité intérieure [Department of Homeland Security, dont dépend l’ICE] digne d’une opération de recrutement en temps de guerre, avec ses images de l’Oncle Sam, coiffé d’une casquette de baseball floquée des lettres ICE ou flanqué d’un aigle, pointant les spectateurs du doigt avec cette légende : “L’AMÉRIQUE A BESOIN DE VOUS.”
“Les États-Unis ont été envahis par les criminels et les prédateurs,” peut-on lire sur l’une des annonces de ce recrutement postée sur les réseaux sociaux. “Nous avons besoin de VOUS pour les renvoyer.”
Ce salon de l’emploi, qui s’est tenu pendant deux jours, constitue la première phase majeure de recrutement organisée par l’ICE depuis l’adoption de la “grande et belle loi” [de Donald Trump, promulguée le 4 juillet dernier]. Elle prévoit l’attribution de près de 170 milliards de dollars [environ 146 milliards d’euros] aux services de l’immigration et des frontières, dont des dizaines de milliards de dollars destinés à l’embauche “d’agents de déportation” et autres personnels. C’est le premier d’une longue série de salons de recrutement prévus à travers tout le pays.
Les responsables du ministère de la Sécurité intérieure affirment qu’en moins de deux semaines, l’ICE a reçu plus de 100 000 candidatures, sans préciser combien d’entre elles seraient retenues. Le ministère a baissé les restrictions d’âge pour les potentielles recrues et propose des mesures incitatives comme des bonus pouvant atteindre 50 000 dollars [environ 43 000 euros] ou le remboursement de prêts étudiants. L’ICE espère ainsi embaucher 10 000 agents avant la fin de l’année, malgré les craintes que cette procédure accélérée n’ouvre la porte à des recrutements problématiques.
Personne ne sait si l’ICE atteindra ses objectifs, mais ces deux journées de recrutement au Texas montrent que les prétendants ne manquent pas. Au total, 3 000 personnes ont participé à ce salon et près de 700 ont reçu une offre de poste.
“C’est une carrière très prisée”, assure Matthew Elliston, directeur adjoint des opérations de maintien de l’ordre et d’expulsion de l’ICE. “En particulier auprès des personnes qui travaillent déjà dans le maintien de l’ordre. Ils sont nombreux à vouloir ces postes.”
Le vif intérêt suscité par les offres d’emploi au sein de l’ICE suggère que, si certains candidats postulent en dépit de mois de contestation des raids anti-immigration [menés par l’ICE aux quatre coins des États-Unis], d’autres sont réellement attirés par la politique d’expulsions massives de Trump.
“En tant que citoyens américains, je pense que nous devons nous engager et apporter notre aide au lieu de compter sur les autres pour le faire”, justifie un homme du Tennessee qui a roulé près de dix heures pour arriver ici et a refusé de donner son nom.
Un autre homme, vêtu d’un T-shirt aux couleurs du drapeau américain, indique être venu par “patriotisme”.
Enfin, il y a ceux pour qui travailler comme “agent de déportation” n’est qu’un moyen d’arriver à leurs fins : rembourser le prêt d’une nouvelle maison ou s’assurer une sécurité financière. “Je cherche à faire carrière, pas juste à trouver un emploi”, explique ainsi T.J. Jordan, âgé de 25 ans.
Le salon se tient au cœur du Esport Stadium de la ville texane d’Arlington, surnommée la “ville du rêve américain” et situé à mi-chemin entre Dallas et Fort Worth.
À l’intérieur du stade, des écrans diffusent des messages incitatifs : “LIBÉREZ VOTRE POTENTIEL” ; “Avec honneur et dignité, nous préserverons le peuple américain, notre patrie et nos valeurs.” Dehors, un groupe de manifestants hurle en direction des participants : “Vous êtes des nazis maintenant. Vous voulez expulser des mamies.”
Avant même l’ouverture du salon, à 8 heures du matin, une file de plus d’une centaine de personnes serpente autour du bâtiment. Les candidats portent des costumes, des robes, des jeans, des bottes et des chapeaux de cow-boy et arborent des boucles de ceinture gravées de têtes de bovins.
On croise à la fois des hommes, des femmes et des jeunes enfants que leurs parents n’ont pas pu faire garder. De jeunes aspirants avec du duvet sur les joues côtoient des hommes et des femmes plus âgés aux cheveux poivre et sel.
Malgré ses 61 ans, Orlin Chotev estime avoir une chance d’être recruté depuis que la ministre de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a annoncé que l’ICE allait s’affranchir des limites d’âge pour les nouvelles recrues. Il est désormais possible de postuler dès 18 ans et sans limite d’âge.
Orlin Chotev vit au Texas depuis qu’il a quitté la Bulgarie, en 2010, attiré par les États-Unis “car c’est le pays de la loi et de l’ordre”. Il raconte avoir attendu quinze ans avant d’obtenir sa carte verte et cinq de plus pour devenir un citoyen américain. “Je sais que lorsque la loi n’est pas appliquée, cela ne provoque que chaos et corruption”, explique-t-il. “C’est désormais mon tour d’aider ce pays à faire respecter ses lois.”
Orlin Chotev, qui vit désormais au Texas et qui a été ingénieur informatique pendant plus de dix ans, rapporte que les agents de l’ICE l’ont interrogé sur sa nationalité, sur ses compétences ainsi que sur son âge. Son espoir : “Décrocher un bon poste où je pourrai apporter ma contribution.”
Malgré le rôle central que continue à jouer la Border Patrol [la patrouille aux frontières], l’ICE est presque devenue l’incarnation de la politique agressive d’expulsion de masse des immigrés sans papiers menée par Trump.
L’administration Trump a juré de ne déporter que “les pires des pires”, mais ces derniers mois, des vidéos de raids anti-immigrés, notamment à Los Angeles, sont devenues virales : on y voit des agents de l’ICE arrêter des vendeurs de rue de tamales [spécialité mexicaine] et de simples employés de stations de lavage de voiture.
La mégalopole californienne est devenue une pionnière de la résistance contre la politique d’expulsion de masse de Donald Trump. Des avocats, des syndicats et des associations de droits des immigrés y ont intenté un procès fédéral contre les agents de l’ICE accusés de faire du profilage racial.

Mais la contestation s’est aussi diffusée dans le reste du pays. Jusqu’au Texas.
En face du salon de l’emploi, une trentaine de manifestants parqués derrière des barrières métalliques scandent des slogans comme “Honte à vous” ou “Rentrez chez vous les Nazis” à l’intention des postulants. Ils brandissent des drapeaux américains et des pancartes où l’on peut lire “La Constitution compte”, ou encore “Défendons la démocratie”.
Mais la petite foule de contestataires n’a pas réussi à décourager les participants, ni même à ralentir le rythme des entrées dans le stade.
Tandis que la plupart des candidats patientent en rangs serrés avant de faire examiner leurs papiers d’identité et leur CV, les postulants qui travaillent déjà dans le maintien de l’ordre sont placés dans une file séparée afin d’accélérer leur candidature. L’un d’entre eux a pris l’avion depuis le Massachusetts, d’autres depuis la Louisiane.
Certains s’inquiètent de ce processus de recrutement expéditif et le comparent à la campagne d’embauches effrénée menée par la Border Patrol entre 2006 et 2009, durant laquelle les critères de sélection et de compétences ont été drastiquement abaissés, et près de 8 000 nouveaux agents intégrés à la police aux frontières.
Des centaines de personnes trompent l’attente, assises sur des chaises en métal pliantes ou rassemblés en petits groupes. Elles visionnent en boucle la même vidéo matraquant que l’ICE œuvre à “renforcer l’intégrité de tout notre système de contrôle de l’immigration”.
À intervalles réguliers, on entend retentir le nom d’un candidat dans les haut-parleurs : “Saldana”, “Sanchez”, “Rivera”, “Chavez”…
Parmi les Latinos présents ce jour-là, se trouve Angela Larrosa, 45 ans, ancienne hôtesse de l’air et habitante de Dallas. Ses parents ont émigré aux États-Unis dans les années 1960 : sa mère du Mexique, son père d’Uruguay.
“Au début, je ne savais pas trop quoi en penser, est-ce qu’ils interpellent réellement n’importe qui dans la rue et l’expulsent ? Non !” tranche-t-elle. “Ils arrêtent des personnes qui ont commis des crimes, des gens qui représentent une menace pour la communauté et qui ne devraient pas être ici”. Et de souligner :
“Ils déportent les criminels et je suis tout à fait d’accord avec ça.”
Ricardo Quiroz, 23 ans, et ses deux amis, Ivan Gonzalez, 27 ans, et Blake Holland, 24 ans, font aussi partie des aspirants. Cela fait des semaines que ces trois jeunes texans discutent du salon de recrutement et partagent leur rêve de devenir agent de l’ICE.
Mais lorsque Ivan Gonzalez a expliqué aux recuteurs de l’ICE qu’il a été condamné il y a dix ans pour un petit larcin, il s’est vu répondre qu’il ne pourrait pas postuler. Le CV de Blake Holland, lui, ne comptait que des jobs dans des fast-foods. On lui a fait comprendre qu’il n’avait pas assez d’expérience professionnelle. Quant à Ricardo Quiroz, il espère pouvoir étoffer son CV afin de pouvoir décrocher un poste au sein de l’ICE dans quelque temps.
“On voulait juste tenter notre chance,” explique le jeune homme. Son père a été renvoyé au Mexique alors que Ricardo était encore adolescent.

Lorsqu’on l’interroge sur la réaction de sa famille face à sa volonté de postuler à l’ICE, il répond qu’il ne communique quasiment pas avec ses proches. Il raconte toutefois que la cousine de sa copine a vu rouge lorsqu’il a envoyé à cette dernière une photo du salon de recrutement de l’ICE en l’informant qu’il allait candidater. Il lui a expliqué qu’il cherchait simplement à faire carrière.
“Tant mieux pour toi et si c’est ce que tu souhaites vraiment, très bien, mais je ne cautionnerai jamais l’ICE et ce qu’ils font aux enfants et aux adultes,” a-t-elle répondu.
T.J. Jordan, lui, avait déjà postulé en ligne mais il s’est tout de même déplacé en personne dans l’espoir d’accélérer le processus de recrutement. Son grand-père, ancien policier, ainsi que plusieurs de ses proches l’ont encouragé dans sa démarche.
Le jeune homme tient un classeur rouge dans lequel il a soigneusement rangé son CV. Il est intérimaire dans le secteur de l’énergie solaire près de San Antonio. Environ quatre heures après son arrivée, il reçoit une offre d’emploi provisoire. L’ICE doit encore vérifier ses antécédents judiciaires et ses résultats de dépistage aux drogues, explique-t-il. S’il décroche finalement le poste et l’accepte, il devra se rendre au Centre fédéral de formation des forces de l’ordre à Brunswick, dans l’État de Géorgie.
“La sécurité de l’emploi est très importante pour beaucoup de gens,” souligne T.J. Jordan, “ceux qui veulent fonder une famille et vivre dans un pays sûr… Je pense que c’est pour cette raison que beaucoup de gens sont prêts à faire ce job.”
Courrier International